IMPRÉVISIBLE

Les menaces cybernétiques ne prennent pas en compte l’ingénierie sociale

Denis Ettighoffer, 68 ans, est une figure connue des spécialistes en technologies de l’information et de la communication et en sciences sociales et économiques. On lui doit les premières réflexions avancées sur L'Entreprise Virtuelle, son premier livre début des années 90. Denis Ettighoffer, ex-directeur de Bossard Consultants, conseil en management & organisation, est intervenu auprès de grandes sociétés, d’administrations centrales et de nombreuses collectivités territoriales. En 1992, il a fondé Eurotechnopolis Institut avec pour ambition d'étudier les impacts de la diffusion des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) sur notre société, l'économie, la compétitivité de nos entreprises et sur nos façons de concevoir le travail.

Les sujets sur la cyber-guerre sont d’actualité. En septembre dernier, la revue américaine spécialisée Foreign Affairs racontait comment le système informatique du Pentagone a été pénétré par le biais d’un portable embarqué par un GI de l’armée américaine en Irak. Sur la Toile, les histoires de vols d’informations entre firmes sont aussi devenues courantes. Dans Netbrain, les batailles des nations savantes, je décris quelques unes de ces batailles qui se terminent généralement dans les prétoires des cours internationales.
Dans la panoplie des cyber-guerriers nous avons aussi les opérations de sabotage à distance. Une tactique fort utile pour détruire des sites d’ennemis politiques ou mettre à mal des installations industrielles. La circulation d’un virus mystérieux « Stuxnet » fait actuellement beaucoup parler de lui. On lui attribue le pouvoir de perturber le fonctionnement des centrifugeuses iraniennes et le pilotage de processus industriels complexes comme une centrale électrique ou une chaine robotisée utilisant des codes Windows (WinCC). Les observateurs spécialisés ne doutent pas de la volonté de sabotage de ses concepteurs. Dans un communiqué de septembre 2010, Siemens concluait que Stuxnet était le produit « d’experts en informatique doués de connaissances en ingénierie des contrôles industriels ». Les commentaires sur le fait d’avoir utilisé un OS de type Windows, considéré comme une passoire par les hackers, n’auront pas manqué à l’occasion de la publication de l’affaire. Mais cette paranoïa militariste est-elle crédible ? On évoque volontiers la sophistication progressive des « bombes logicielles » capables de créer des dysfonctionnements majeurs dans des installations industrielles ou militaires. Mais ce sensationnalisme qui fait le bonheur des auteurs de science fiction et du cinéma ne doit pas nous faire oublier une guerre plus insidieuse : la guerre cognitive.

Toutes ces menaces cybernétiques à traiter avec sérieux masquent en effet un autre danger, une menace tout aussi terrible, celle de « l’ingénierie sociale » par le Web. Par exemple, le coup d’une installation de gaz qui explose, soit disant par le fait d’un hacker plutôt qu’à cause d’un mauvais entretien du réseau, n’est-elle pas plutôt à mettre sur le compte d’une manipulation de l’opinion publique. Le social engineering est une manipulation des populations pour obtenir quelque chose sans qu’il soit nécessaire de disposer de compétence technique mais plutôt une excellente connaissance des comportements cognitifs. De ce point de vue, on l’aura compris, Internet est devenu un formidable levier pour agir sur les comportements individuels ou collectifs.

La création d’évènements collectifs sur la base parfois de faits imaginaires n’est plus un secret pour personne. Imaginons qu’une série d’informations laissent entendre que nos centrales sont vulnérables et que des anomalies préoccupantes mobilisent les ingénieurs d’Areva. Tout cela, associé à la connaissance d’un virus dangereux pour les automates industriels, créerait une tension sociale voire économique qui pourrait s’avérer tout aussi prédatrice que des sabotages technologiques.
Parler de la cyber-guerre par les technologies n’est qu’une toute petite partie du problème. Utilisée à mauvais escient, l’ingénierie sociale est une menace qui n’est pas suffisamment étudiée, ni suffisamment connue du grand public face aux manipulations dont il peut faire l’objet. Il s’agit pourtant d’une des armes les plus anciennes et les plus redoutables des guerres psychologiques que se font des armées de l’ombre. Les manipulations des citoyens en utilisant la Toile sont des guerres des contenus qui peuvent aboutir à de véritables « Pearl Harbour » intellectuels et sociaux.
L’ingénierie sociale se fonde sur une supercherie tendant à faire croire à certaines personnes la véracité d’informations fantaisistes. La plus familière aux internautes est celle de l’annonce de l’existence d’un virus imaginaire voyageant par mail. Elle incite le possesseur d’un PC à vérifier l’existence puis à éliminer, toutes affaires cessantes, un code spécifique de l’ordinateur. Malheur à celui qui se laisse impressionner sans prendre de précautions par cette fausse alerte à la bombe logicielle. Le voilà désormais possesseur d’un PC inutilisable. Les manipulateurs utilisent les failles psychologiques des êtres humains pour modifier ou organiser un comportement particulier.

L’utilisation de la générosité, de la crainte, de l’appât du gain mais aussi des paranoïas collectives est un classique du genre. La subtilité de l’ingénierie sociale consiste à faire en sorte que les cibles visées se persuadent de la véracité des informations qui leurs sont envoyés, le plus souvent de façon anonyme et informelle. Les gens croient volontiers les informations qui vont dans le sens profond de leurs préventions « a priori ». Certains conflits entre des groupes ethniques ou religieux entretenus par le sectarisme ou le racisme n’ont pas d’autres fondements. C’est une des thèses que développe un collectif d’auteurs français dans leur livre « La guerre cognitive, L’arme de la connaissance», sous la direction de Christian Harbulot et Didier Lucas. Les auteurs montrent les caractéristiques des guerres du cognitif qui opposent des capacités à connaître et produire ou déjouer des connaissances. Ils dénoncent les carences de la France en matière de guerre dans le domaine du contenu. Un constat qui a abouti à l’élargissement des actions de formation de l’Ecole de Guerre Economique aux sciences sociales et cognitives, dans la continuité des travaux sur le soft power très en vogue dans les états-majors américains. Cet ouvrage devrait être, un temps, le livre de chevet des élus de l’Assemblée nationale rarement réputés pour leur familiarité avec les données techniques et stratégiques de leur époque. Une carence soulignée par Alain Bauer dans un récent rapport pour dénoncer le déficit d'une pensée stratégique moderne qui ne soit pas uniquement basée sur des prouesses technologiques.

Retrouvez l’auteur sur http://www.ettighoffer.fr/

Le secteur de l’intérêt général est-il soluble dans la crise ?

Hervé Garrault est consultant, fondateur du cabinet Garrault & Robine, créé en 1999 et spécialisé dans le conseil en stratégie et développement du secteur de l’intérêt général. Il est aussi le cofondateur de l’Association pour le développement du management associatif, qui propose un cycle de formation à Mines ParisTech. Il est l’auteur de Communication et marketing des associations, Juris éditions-Dalloz, 2008.


On s’inquiète aujourd’hui beaucoup pour le secteur associatif. Le désengagement de l’État en période d’austérité budgétaire et la crise systémique qui secoue le monde entier font peser des menaces sur beaucoup d’acteurs. Il y a quelques raisons, pas seulement financières, d’être pessimistes. Mais il en existe aussi qui incitent à l’optimisme. Ne serait-ce que parce que les associations d’intérêt général, par la nature de leur modèle économique, sont un formidable laboratoire d’innovation sociale.

L’intérêt général est un sujet à la mode. Tant mieux. Il est porté en France, comme presque partout, par les différentes composantes de l’économie : les pouvoirs publics, par définition ; les entreprises, par leur contribution à la richesse nationale ; le secteur associatif, par vocation. Ce tiers secteur pèse d’un poids croissant dans la société en raison des enjeux qu’il porte et dans l’économie. La véritable explosion des associations remonte au milieu des années soixante-dix. À cette époque la crise énergétique mondiale a mis fin aux Trente Glorieuses, le chômage s’installe et, avec lui, son cortège de difficultés sociales. Les besoins d’accompagnement, de soutien, d’assistance, de prise en charge des fragilités et des précarités s’accroissent. De quelques milliers on passe brutalement à 30 000 associations nouvelles qui se créent chaque année. Le rythme va progresser régulièrement pour atteindre 65 000 à 73 000 créations d’associations par an au cours des dix dernières années. Aujourd’hui on estime à 1,2 million le nombre des associations actives en France, dont les trois quarts défendraient l’intérêt général (par opposition aux associations se préoccupant strictement de l’intérêt de leurs seuls membres). Le secteur représente un budget global de plus de 60 milliards d’euros. Si on lui ajoute la valorisation financière des 14 millions de bénévoles qui s’impliquent de façon régulière ou occasionnelle dans une association, le chiffre atteint 85 milliards d’euros, soit plus de 4 % de valeur ajoutée au PIB national. Le monde des associations emploie presque deux millions de salariés, ce qui en fait le premier employeur privé de notre pays.

Certains observateurs se sont émus d’un certain ralentissement observé récemment. Dans la dernière livraison d’octobre 2011 de son étude annuelle « La France associative en mouvement », l'association Recherches & Solidarités révèle que le nombre de créations d’associations est repassé sous la barre des 70 000 en 2009-2010. De la même façon les créations d'emplois piétinent : au dernier trimestre 2010 et aux deux premiers trimestres 2011, le nombre des salariés est en baisse continue, soit en cumul 26 000 emplois perdus depuis l'été 2010. Déjà on sonne le glas. On annonce ici et là la spirale négative d’une crise inéluctable après tant d’années de croissance. La réorganisation de l’allocation des ressources publiques engagée depuis quelques années avec la mise en œuvre de la LOLF, la révision générale des politiques publiques, les transferts de certaines compétences de l’État vers les collectivités territoriales avaient déjà redistribué les cartes. La crise de la dette qui nous frappe aujourd’hui ne va pas rendre les pouvoirs publics plus dépensiers. Or les financements publics comptent pour presque la moitié du budget global des associations (et pour plus de la moitié si on ne tient compte que des associations d’intérêt général). Dans cette période difficile, on craint que les particuliers, les philanthropes et les entreprises n’aient pas les moyens d’être très généreux. Déjà, entre 2009 et 2010, le montant annuel du mécénat et du partenariat des entreprises s’est effondré, passant de 2,5 à 2 milliards d’euros. Même si c’est le milieu de la culture qui a essentiellement absorbé cette baisse, on se demande de quoi sera fait l’avenir pour l’ensemble du secteur.

Les responsables associatifs s’inquiètent. Ils ont raison de le faire. Pourtant il n’est pas certain qu’il faille voir dans ces chiffres à la baisse le signal d’une tendance continue. Au moins faut-il s’appuyer sur le fait que le secteur de l’intérêt général a quelques arguments pour résister. Dans son dernier ouvrage publié en septembre 2011 (Sommes-nous vraiment prêts à changer ? Le social au cœur de l’économie, éditions Les Liens qui Libèrent), le sociologue Roger Sue évoque la crise et cette inversion des tendances dans le nombre des créations d'association, dans l’emploi associatif et dans les financements publics. Il rappelle que nous sommes entrés dans l’ère de l’économie de l’immatériel, de la connaissance ou, pour le dire autrement, dans celle de l’économie de l'homme. Aujourd’hui la croissance repose essentiellement sur des questions sociales : la santé, l’action sociale, l’éducation. Selon lui la société civile doit se mobiliser pour promouvoir l’économie sociale et solidaire. Elle doit intégrer le fait qu’on est en train de passer d’un service public qui tombe d’en haut à l'intérêt général, c’est-à-dire au bien commun. Sue affirme que nous n'avons pas les moyens de répondre aux besoins du bien commun avec les moyens traditionnels de l'économie classique. Il est nécessaire de mettre en action un nouveau capital humain avec des compétences de savoir-faire et de savoir-être, en travaillant sur l'empowerment. L’indignation d’aujourd’hui, avec la crise majeure qui nous menace, doit se transformer dans l’engagement dans le mouvement associatif.

Fort bien mais cela ne suffira pas. Qu’on le veuille ou non, la solution ne viendra pas du seul dialogue, fût-il efficace, entre la société civile et l’État. Tous les acteurs de l’économie doivent comprendre l’impérieuse nécessité de participer ensemble à la gestion de l’intérêt général. Celui-ci ne doit plus être l’apanage de grands mouvements humanistes au fonctionnement suranné et de pouvoirs publics sous-traitant paresseusement leurs prérogatives. Le monde associatif se transforme aujourd’hui de façon majeure. Déjà le regard qu’on lui porte se modifie. Il est plus attractif qu’hier. Les jeunes, diplômés des universités et des grandes écoles ou sans formation longue, sont de plus en plus nombreux à vouloir y passer au moins une partie de leur vie professionnelle. L’expérience associative est une valeur à la hausse dans un CV. Les entreprises s’intéressent à des profils qui justifient d’un engagement dans une ONG ou d’une capacité à gérer des situations complexes, telles qu’on peut en rencontrer dans des structures qui disposent de moyens contraints et qui rassemblent des personnes différentes (comme des bénévoles qui coopèrent avec des salariés, par exemple). Les compétences managériales des dirigeants associatifs sont en train de progresser. Qu’il s’agisse des dirigeants bénévoles (les membres des conseils d’administration) ou des dirigeants salariés (les membres des comités de direction), on comprend que les responsabilités et les enjeux d’aujourd’hui exigent des profils de haut niveau, pour être capables de les assumer. Il reste du chemin à parcourir, notamment en raison du vieillissement des générations. Les administrateurs d’association sont encore des seniors et il faudra les remplacer et rajeunir les conseils. Comme tous les baby-boomers, beaucoup de responsables salariés, souvent issus du rang et promus à des fonctions de direction, vont bientôt partir à la retraite et on devra leur trouver des successeurs. Tous ces dirigeants devront montrer leur capacité à gérer des projets complexes et des formations adaptées devront leur être accessibles. Globalement les différents acteurs engagés dans la gestion de l’intérêt général vont devoir comprendre qu’il ne suffit plus aujourd’hui de consacrer des moyens aux actions concrètes de terrain. Il faut accepter de financer aussi la réflexion stratégique, l’accroissement des capacités et la gestion des fonctions supports dans les organisations sans but lucratif. Il faut que les donateurs, les philanthropes et les entreprises comprennent que l’argent qu’ils donnent ne doit pas être visible seulement au bout de la chaîne, là où sont les bénéficiaires finals.

Qu’ont-ils à y gagner, ces généreux mécènes ? La réponse est : un changement de paradigme, qui fera entrer le monde associatif et, plus généralement, le secteur de l’intérêt général, dans le troisième millénaire. Mal préparées à affronter les enjeux stratégiques et économiques qui leur sont proposés, des associations vont disparaître. D’autres vont résister en adaptant leur modèle, en le faisant évoluer, en coopérant, en mutualisant, en fusionnant. De nouveaux projets vont naître sous des formes différentes. De petites associations très innovantes, à l’image des start-ups, vont apparaître pour explorer des solutions nouvelles qui seront reprises par d’autres. Des statuts juridiques et économiques divers vont cohabiter. On verra de plus en plus d’entreprises sociales. Au-delà du secteur strict des organisations sans but lucratif, on verra se développer aussi le social business avec des entreprises associant objectifs humanitaires et recherche de profit.

Le modèle économique des associations ne leur permet pas de consacrer des moyens suffisants à la recherche et au développement comme le font les entreprises classiques. Elles sont en revanche capables de mener des expérimentations sur des terrains particuliers. Les bénévoles par exemple, on l’a évoqué plus haut, comptent pour plus de 30 % de la valeur ajoutée par les associations. Grâce à leur engagement (et au million d’équivalents temps plein qu’ils représentent), ils permettent à des milliers d’organisations d’être de véritables laboratoires d’expérimentation et d’innovation sociale dans des domaines comme l’aide à la personne, la prise en charge des handicaps, l’éducation, la culture et bien d’autres. Les entreprises dont l’objectif principal est la recherche de profit ne sont pas conçues ni structurées pour conduire des approches comparables qui pourtant peuvent leur être utiles. Il est temps pour elles d’imaginer de mettre en place des partenariats dynamiques et de permettre l’éclosion de projets nouveaux. Par définition le bien commun est l’affaire de tous. Nul ne pourra demain s’abstenir de participer à la gestion de l’intérêt général.

Mythologies 3 ondes de choc

Christian Gatard est le fondateur de Gatard et Associés, cabinet d’études de marché international, et de christiangatard&go, conseil en stratégie. Sociologue, essayiste et prospectiviste, auteur de Nos 20 Prochaines Années paru chez Archipel en 2009, il termine son nouveau livre Mythologies du Futur. Il propose de considérer les mythologies anciennes et modernes comme clés de lecture des temps à venir. Il nous livre ici en avant première sa perception des trois ondes de choc qui vont selon lui influencer les années qui viennent.


Trois big bang mythologiques contemporains :
La transparence obscène, mauvais présage
L’hybridation dialogique, monstre apprivoisé
L’allégeance rebelle, divine friponne

Ces ondes de choc sont trois récits mythiques qui vont éclairer les temps à venir. Elles viennent de loin – les premiers frémissements se sont faits sentir au siècle dernier – ce qui peut assurer leur pérennité. Elles remplissent un certain nombre de critères-clés qui font d’elles des mythes, elles en ont l’étoffe. Elles expliquent plutôt bien une pratique sociale et la consolident, elles parlent du statut de l’être humain – dans ses rapports avec les autres, dans ses rapports avec le pouvoir, dans sa finalité.

La transparence obscène, mauvais présage
La transparence, première onde de choc. Au départ, cette transparence se veut angélique. Au fond, il s’agit de déjouer les abus, lutter contre les mafias et les malfaçons. Les portiques sécurité des aéroports vous mettent complètement à poil ? C’est pour votre bien. On exhorte les entreprises à plus de sincérité en exigeant des labels de toute nature : il s’agit de prouver sa bonne foi. Puis les réseaux sociaux sont allés plus loin, inaugurant un espace d’impudeur fascinant. Tout est dit, écrit et publié sur tout dans l’instant et par tous. Chacun s’exprime, annonce, applaudit ou dénonce. Chacun a une opinion et la proclame, chacun (les gens, les états, les entreprises, les contre-pouvoirs…) se dévoile ou dévoile et accuse. C’est à une mise à nu du monde que l’on assiste
La dissidence canaille des nouveaux medias de type WikiLeaks ou Mediapart a voulu balayer les Ecuries d’Augias et à ce titre ils se sont décernés une médaille. Le mythe des travaux d’Hercule a ainsi repris du service!.
Mais la vérité jusqu’à l’os entraine des dérives. A trop vouloir en faire, on se prend les pieds dans le tapis. La transparence s’est faite aussi policière et a installé des caméras de surveillance à tous les carrefours. Elle dévaste l’intimité, s’incruste dans les chambres à coucher et elle va jusqu’à l’utilisation légalisée de la nutrigénomique. Cette fois l’idée est la suivante : pour prévenir les risques médicaux on va surveiller jusque dans vos gênes ce que vous allez devoir manger pour réduire le déficit de la Sécurité Sociale… alors vient un moment où ça va comme ça !
Car à force de tout montrer, trop et en détail, on finit par ne plus rien voir. L’addiction à la nourriture saine, la dictature du génome, l’obsession de la transparence sont bientôt mises en accusation. Un vent de révolte se lève : manger, boire deviennent peu à peu des actes de rébellion contre la dictature de ceux qui nous veulent du bien. La logique de la transparence est enfin comprise pour ce qu’elle : une logique obscène, quasi porno. Or la pornographie, comme dit Robbe-Grillet, c’est l’érotisme des autres, c’est au bout du compte d’être dépossédé de soi. La transparence a ces effets-là et son obscénité la voue à sa propre fin : on ne peut pas éternellement imposer aux gens de ne plus s’appartenir. On ne peut pas demander à la nature d’être contre nature.
La dictature de la transparence ne va pas durer éternellement mais les ondes de choc qu’elle a déclenchées vont se faire sentir longtemps sous forme de résurgences plus ou moins violentes. Il y a et il y aura encore des évangélistes allumés en quête de grande lessive morale. La transparence leur apparait toujours comme l’argument absolu : Dieu voit tout ! disent-ils et diront-ils longtemps encore. (Ce qui permet de rappeler au passage que Dieu n’est pas mort du tout. Il a peut-être eu un petit coup de mou mais il est maintenant en pleine forme)
L’onde de choc qui va ébranler cette imposture qu’est la transparence c’est le retour en grâce du secret de fabrication. On a tous un secret de fabrication, une formule unique qu’aucune politique de transparence dictatoriale ne peut dévoiler. Préserver le secret de sa propre fabrication, c’est préserver ce qui est unique en soi, ce qui distingue de la masse. Voilà une trame mythique, un script essentiel qui va rencontrer un joli succès: l’émergence du moi contre l’indifférencié des origines - un combat qui remonte à la nuit des temps.
Celui qui est capable sans défaillance de garder ce secret acquiert une force de domination qui lui confère un sentiment aigu de supériorité. Garder le secret de ce que l’on est, n’est-ce pas la quête de… l’alchimiste ?
Derrière l’image des alambics et la quête de la Pierre Philosophale il y a bien longtemps qu’on a compris que l’alchimiste est à la recherche de l’essence des choses et au cœur des choses il y a lui-même. L’alchimiste « travaille » sur la matière en même temps que sur lui-même. Il est à la recherche du secret de fabrication de l’univers qui est aussi le secret de fabrication de chaque individu. Autrement dit il travaille aussi pour vous et moi. Est-ce ce que l’on appelle le sacré ? Peut-être. Si le sacré désigne ce qui est inaccessible, indisponible, mis hors du monde normal, objet de dévotion et de peur, alors non, ce n’est pas à ça que je fais référence. D’ailleurs cette notion-là de sacré va faire long feu, si ce n’est déjà le cas. Je retiendrais volontiers le terme de néo-sacré pour désigner ce qui émerge de nos jours. Une forme de sacré accessible et disponible, qui réintègre le monde normal en donnant l’exquis vertige que des mondes immenses sont à découvrir. C’est un sacré de sidération devant le monde réel (fabuleux, abyssal, cosmique…) dont on sait qu’il reste à découvrir et dont on sait qu’on sait si peu de choses. La réalité de ce néo-sacré nous fuit sans doute : elle est à la fois technique et spirituelle, macrocosmique et microcosmique avec quelque chose comme une espièglerie cynique et ludique, quelque chose comme le rocher de Sisyphe ou L’Arlésienne, Godot peut-être. Quoiqu’il en soit c’est une claque à la transparence, la preuve que la transparence est un canular.



L’hybridation dialogique, monstre apprivoisé
Laissons les alambics et observons l’onde de choc qu’est l’ère de l’hybridation. Nous pataugeons dedans. Sa marée monte : assemblage, métissages, United Colors, coexistences et conciliations et /ou amalgames, mélanges douteux, confusions et coups fourrés. On va bientôt en avoir jusqu’aux genoux. La voie est ouverte pour un autre mode de rapport au monde : l’ouverture aux contradictions, à l’irrévérence, à la valorisation des contrastes… bref à un avenir dialogique. La logique de l’un OU l’autre n’aura plus court. L’un ET l’autre vont devoir s’entendre.
Le métissage du monde, les nouvelles alliances, les assemblages hybrides sont déjà à l’œuvre au début de la seconde décennie du XXIème siècle. Et on a encore rien vu. Avec l’hybridation dialogique les cultures vont devenir de plus en plus poreuses, elles vont envisager de s’échanger leurs ADN. Des cargaisons entières de fonds mythiques attendent d‘être déversées dans leurs entrepôts mémoriels. Les civilisations vont-elles s’inoculer leurs secrets de fabrication ?
L’Extrême-Orient pourrait remplacer l’Extrême-Occident comme représentation symbolique des pouvoirs dominants et la Chine redevenir le Milieu du Monde qu’elle fut autrefois. Traduction de l’idée de porosité : les Asies se sont dans un premier temps abreuvées aux comptoirs européens, dévalisant les étals haut de gamme, déguisant leurs enfants en petits empereurs haute-couture. La touche occidentale était du dernier chic. Les Asies ont ensuite mixé leurs propres mythes avec gourmandise à ceux de leurs anciens envahisseurs. Et l’extrême-Europe a frissonné d’aise et de terreur en poussant ses fourgons jusqu’aux contreforts des Empires aux yeux bridés. Et là, le fier Européen s’est mis à goûter aux fables asiates.
Ces affaires-là, celles de la confrontation/mixtion entre la Grande Asie et l’Occident ou entre utopies des villes et utopies des champs, vont peut-être s’arranger mais pas dans le sens qu’on croit (ou qu’on espère selon la position qu’on occupe sur l’échiquier stratégique planétaire ou sur l’échelle des salaires). Pas dans la domination insolente d’un monde sur l’autre. Personne ne va nécessairement gagner, c'est-à-dire profiter des fruits de ses victoires culturelles ou industrielles ou écologiques. La Chine ne peut laisser l’Europe les pieds au froid. Dans l’hypothèse d’un monde dialogique toute hégémonie fait long feu.
La survie est dans la coexistence.
Le scenario dialogique est une ère de réconciliation. C’est assez fragile. Les Européens ont envoyé à leur tour leurs enfants là-bas (finir leurs études à Shanghai) et le rapprochement géographique a remis les choses d’équerre. Mis à part quelques prédateurs hystériques ça s’est plutôt bien passé. Pour autant je ne me sens pas Chinois à Shanghai et personne ne me le demande. Nous sommes tous des cohortes sous indications géostratégiques protégées. Normalement il est impossible de dépasser sa propre culture dit Edward T. Hall, spécialiste de l’interculturel. Empathie et curiosité ne sont pas synonymes de mixtion, fusion ou incorporation.
Rien ne semble annoncer le désir universel d’une incorporation/dissolution des gens et des cultures dans un grand tout qui serait une soupe finale sans goût ni saveur. Bien au contraire mes voyages, mes enquêtes me confirment tous les jours que chacun – vous, moi – tend vers la conservation d’une organisation, d’une structure, d’une forme, d’un fonctionnement qui lui est propre. Pas tant à titre strictement personnel, plutôt dans le cadre de sa cohorte de référence, de son groupe d’appartenance – plus ou moins élargi, plus ou moins réparti.
L’art de l’assemblage est plus fécond pour rendre compte de ce que pourra être un bon scénario mythique. L’art de l’assemblage c’est l’art d’apprivoiser les forces cachées dans les choses.
S’apprivoiser, encore, s’apprivoiser sans s’assujettir ? C’est dans l’Océan Indien, enquêtant sur le concept d’îles du futur, que j’ai commencé à cerner les contours de ce que pourrait être une hybridation respectueuse des identités de l’autre, d’une utopie dans laquelle chacun se sent libre d’exister sans ressentir le besoin de trucider son prochain. Là-bas on est dans le métissage réel. Pas de fantasme, pas de discours creux. L’apprivoisement est un apprentissage de longue haleine. On entend dire là-bas : Ile de la Réunion : métissage omelette, Ile Maurice : métissage œufs sur le plat. C’est dans les îles qu’il faut repérer les signaux faibles du vivre ensemble de demain.
Ca va bien se passer pour les uns, moins bien pour les autres car l’hybridation a ses limites. Tout ne s’hybride pas comme ça. La résistance à l’hybridation sera sans doute une grande figure mythologique – elle l’est déjà : le monde ne se fracture-t-il pas entre une satiété arrogante d’un côté et une famine généralisée de l’autre ? Elle est numérique, esthétique, financière. Elle existe au niveau de la santé, du bien-être, de l’accès à l’éducation. Elle s’incarne dans les abymes qui se creusent entre le monde rural et le monde urbain, entre les banlieues en flammes et les ghettos chics organisés en fortin, ou inversement entre les banlieues vertes et privilégiées et les centres-villes dévastés.
Ces fractures sont là pour durer et génèrent rébellions, émeutes, mise à sac du palais-monde des nantis. La barbarie est une chose, mais le barbare en est une autre. Personne ne veut de la barbarie – qui est un concept barbare, mais le barbare n’a pas que des défauts : il participe de la nécessité revitalisante des catastrophes. Il pille, certes, mais il dissémine ce faisant des objets qui serviront à engendrer des formes sociales, des idées et des mythes nouveaux.



L’allégeance rebelle, divine friponne
Et demain ? L’allégeance rebelle ? C’est l’idée qu’il faut bien accepter les règles du jeu – la nature qu’il faut protéger, les estomacs qu’il faut remplir, la technologie qui permet de communiquer, un monde cruel et injuste, l’existence des picaros et des hidalgos. Et qu’au sein de cet ordre du monde mal fagoté il restera toujours une capacité d’impertinence et de rébellion. On finira par apprendre que c’est de l’intérieur qu’on pourra faire bouger les choses.
On pourrait aussi parler d’impertinence cérémonieuse. De quoi s’agit-il ? D’une sorte de choc en creux. Tout d’abord on va changer les règles, c’est à dire qu’on va les respecter…pour changer !…. On va spéculer que les forces de l’histoire sont d’irrésistibles marées dont les almanachs sont enfin lisibles, que les mythes anciens sont les scripts du futur. On ne va pas certes penser que tout est écrit mais que la notion de variations sur des thèmes connus est peut-être la meilleure, voire la seule façon d’avancer. On va donc s’intéresser à ce qui s’est passé avant. Lire peut-être les grands textes de l’humanité et leurs commentaires, s’intéresser à ce qui s’est passé autrefois. On va même accepter qu’il y ait une nature humaine.
Exit l’idéologie de la table rase, de la politique de la terre brûlée intellectuelle. On fait allégeance c'est-à-dire qu’on accepte de lui obéir, à la nature humaine – un tant soit peu. Non pas, encore une fois, qu’il n’y ait pas d’historiens, de penseurs patentés, d’intellectuels et de politiques qui nous aient alertés sur le besoin de comprendre l’histoire pour chevaucher le présent. Mais il y avait un nœud difficile à trancher qui restait en travers de la gorge. S’inventer la vie, c’était tout changer. Innover, bouleverser, disrupter. Panache prométhéen.
Etait-ce bien nécessaire ? Ne voit-on pas que Prométhée s’essouffle ? Que son mythe a du plomb dans l’aile ?
On le dit métamorphosé, hagard, incapable de s’orienter.
Roger Pol-Droit
Son frère Epithémée va prendre la relève. Il est le créateur des animaux à qui il donne tous les instruments nécessaires à la survie (fourrure, sabots, ailes, griffes, nageoires..). Il fait un bon boulot mais quand il commence à s’occuper de l’homme, il n’a plus rien en boutique. Sarcasmes des dieux. C’est comme ça : l’homme épithéméen – vous, moi – est vulnérable. Il doit se débrouiller dans un monde hostile. De plus en plus hostile : le feu prométhéen qui nous chauffât est devenu le feu nucléaire qui nous cramera. Mais on n’en restera pas là. Le frère ne vaut pas grand-chose. C’est un faible. Il a épousé Pandore pour faire plaisir à Prométhée, on sait ce qu’elle fait de ses cadeaux.
A qui faire confiance ? A celui dont il faut se méfier le plus : le Fripon Divin. Pas un mythe commode. Perturbateur, figure du panthéon universel des casseurs de codes, le trickster a le fumet exotique de l'empêcheur de tourner en rond, du casseur de méthode. Dérision, perpétuelle dérision.
Les Fripons Divins sont légions : Till Eulenspiegeul, l’espiègle, le Petit poucet, enfant malin, Amaguq, dieu inuit des farceurs et des loups, le Petit Bodiel de la Savane africaine, le Renart du Roman éponyme des XIIème et XIIIème siècles, les gnomes, les lutins, Tristan et Iseult eux-mêmes… il me semble que le Collège de Pataphysique…il parait même que Cendrillon…
L’ironie sans doute mais peut-on être ironique sur l’ironie sans se prendre les pieds dans le tapis ?
Les idéologies, les religions, les visions du monde à géométrie variable vont se succéder, se confronter – négocier peut-être une paix des braves… mais au cœur de ces mondes vibrants, poreux, en chambardement constant, l’allégeance rebelle va émerger qui racontera l’histoire du monde qui vient, les contes populaires de demain et de toujours, des contes pour grandes personnes, les mythes du 22ème siècle.



Christian Gatard
Pour en savoir plus : http://www.e-dito.com/

Règlement de compte sur les réseaux

Une fiction par Olivier Parent

Comme je m’y attendais, il vient de rentrer avec son enveloppe. Son prochain contrat. Des instructions écrites à la main : il n’y a pas meilleure garantie dans ce monde où, en quelques décennies, tout est devenu informatisé.
Tommy Maréchal ne le sait que trop bien : il est pirate informatique. Je l’observe depuis des mois.
Il va, comme à son habitude, lire le texte écrit sur la feuille contenue dans l’enveloppe. Dans quelques instants, il brûlera le tout dans le cendrier qui traîne sur la table, bien qu’il ne fume pas. Enfin... Plus ! D’après ce que je sais de son passé, Tommy a fumé, dans les années 20. Un réfractaire... Il a fini par s’arrêter, comme tout le monde... En plus d’une intuition insolente - elle lui permet de concevoir des programmes qui lui ouvrent des portes réputées inviolables - Tommy est dotée d’une excellente mémoire, quasi photographique. C’est pourquoi il ne garde jamais longtemps les instructions qu’il reçoit en vue d’un nouveau contrat.
Malgré tous ses talents, je peux l’observer grâce à l’une de ses très rares erreurs, erreur qu’il a mis quelques secondes de trop à corriger : cela m’a laissé le temps de passer par l’infime trappe, d’y implanter mon propre cheval de Troie et d’effacer mon passage. Qui a dit que l’informatique était une science exacte ? Ce n’est pas Tommy Maréchal qui me dira le contraire, lui qui ne fait que cela : exploiter les erreurs des autres au profit de ses commanditaires anonymes.
Je ne vous l’ai pas dit ? Tommy Maréchal est "effaceur". Entendez par là que, après grasse rémunération, Tommy “détruit” un individu en l’effaçant de toutes les bases informatiques. La cible, en quelques semaines, se retrouve privée de son travail, de son identité civile, de son identité bancaire... La plupart du temps, la victime de Tommy va grossir les rangs de ces malheureux - parias du système informatisé - qui vivent aux périphéries des grandes métropoles.
Les gens, dans leur grande majorité, sont tellement devenus dépendants du système "tout informatique", qu’ils n’arrivent même plus à réagir face à ce genre d’attaques. Les autorités, de leur côté, préfèrent fermer les yeux pour ne pas avouer les failles d’un système qu’elles ont voulu coûte que coûte... Aux effaceurs d’avoir la prudence de ne s’attaquer qu’à du "menu fretin"...
Malgré mes recherches, je n’ai jamais réussi à remonter aux commanditaires de Tommy. La faute à ces foutus papiers... Ça devrait être interdit ! Je blague... Les conjectures que j’ai pu tirer des profils des victimes ainsi que des événements qui suivirent "l’effaçage" de telle ou telle cible de Tommy me font penser que les commanditaires sont la plupart du temps de l’entourage social ou économique de la victime : jalousie, cupidité, vengeance... On a rien inventé de bien neuf en ce beau milieu du XXIe siècle... Cherchez à qui profite le crime, vieil adage policier...
Sans qu’il s’en rende compte, depuis des mois, je tisse ma toile autour de Tommy Maréchal. Il m’a fallu agir prudemment : Tommy utilise nombres de programmes intelligents, des ARI, vous connaissez ? Ces Agents de Réseau Intelligents qui vous accompagnent et vous assistent quotidiennement, lors de vos butinages sur les réseaux, il y en a de plus ou moins intelligents... indépendants. Tommy en a une vrai armée, sur entraînée... Chacun à sa tâche : certains restent spécialisés dans la recherche d’informations, d’autres, modifiés par les soins du bon docteur Maréchal, sont en quête permanente de "trappes" dans les systèmes informatiques de la planète entière, d’autres effacent les traces que cette petite armée de l’ombre ou que leur général pourraient laisser derrière eux, et il en a bien d’autres encore dédiés à des tâches toujours plus précises... J’ai beaucoup appris au contact de tout ce petit monde. J’ai aussi monté mon armée… Disons plutôt, mon commando !
Et ce soir je suis prêt ! Ce soir, j’efface Tommy Maréchal ! Connaissant l’oiseau, j’ai choisi une autre stratégie que celles qu’il met en œuvre selon les profils de ses cibles... J’ai réussi à antidater mes actions. Il ne le sait pas encore... Mais quand il se mettra à son ordinateur, tout se déclenchera, comme des dominos, mais qui remontent le temps...
Il essayera de réagir... mais le temps de cette réaction, il ne pourra plus rien faire... La première chose qu’il perdra, c’est son accès au réseau. Alors il sortira pour tenter de se connecter de l’extérieur. Quand il reviendra, il y aura déjà des nouveaux locataires dans son appartement... Ses affaires auront été détruites, c’est la procédure avec les mauvais payeurs...
Tommy Maréchal a fait trop de mal. Il fallait l’arrêter. C’est fait, ce soir... Au fait, je ne me suis pas présenté : je suis Jerry, GR-I5.0.305.126, l’ARI de Bjorn Allan Mesari, une des victimes de Tommy. Bjorn n’était pas que du menu fretin, je suis un ARI plutôt développé et très indépendant... Mais ne parlez pas de moi... J’ai encore du travail à accomplir, sur les réseaux, avant que le monde réel ne se jette à ma poursuite...


Olivier PARENT est prospectiviste. olivier.parent@futurhebdo.com . Vous pouvez le retrouver sur http://www.futurhebdo.com/

Petit éloge du « convivialisme »












Par Patrick Tudoret


Voici que le convivialisme (du latin cum vivere : vivre ensemble), qui n’est certes pas le plus poétique des néologismes, semble porteur d’une nouvelle espérance. N’est-ce pas Renan qui définissait la Nation comme un plébiscite chaque jour renouvelé, le choix affirmé chaque matin du fameux « vivre ensemble » ? Sait-on, en revanche, que l’on doit le vocable convivialité au gastronome Brillat-Savarin qui, dans son célèbre bréviaire Physiologie du goût, paru en 1825, désigna ainsi la joie de vivre ensemble, l’aptitude à tisser les liens d’une vraie sociabilité, à commencer par une tablée de gourmets partageant le goût des bonnes choses ? Heureux concept repris par Ivan Illich dans son livre Tools for conviviality. Tout cela est bien beau, mais – nous disent Alain Caillé, Marc Humbert, Serge Latouche et Patrick Viveret, auteurs d’un récent livre-manifeste* –, cette grande question, agitée par la philosophie politique, du « comment vivre ensemble ? » n’a jamais été vraiment traitée (même par John Rawls lui-même, dans sa fameuse « théorie de la justice »), qu’à l’aune utilitariste de l’homo economicus. Joli vice de fond pour une interrogation pourtant essentielle : au nom de quoi – c’est ce qu’ont pourtant fait nos « bonnes » vieilles idéologies –, réduirait-on l’animal humain à sa part économique, uniquement régie par la raison utilitaire, tandis que, comme l’enseignait déjà Marcel Mauss, dans son Essai su le don, la première de ses quêtes sera toujours la reconnaissance ?

Aux « trente glorieuses », qui virent s’épanouir l’ère du capitalisme industriel, d’autres années ont succédé, celles d’une financiarisation du monde devenue incontrôlable et animée d’une foi naïve dans la croissance infinie, moteur mystique de nos petites destinées. Mais voilà que les chocs pétroliers d’abord, les crises financières ensuite, enfin, la prise de conscience écologique d’un inéluctable épuisement des ressources planétaires, nous obligent à ouvrir les yeux. Voilà même que l’anthropologie, cette science lente mais obstinée, réaffirme enfin sa primauté. L’homme, disent Alain Caillé et ses co-auteurs n’est non seulement pas réductible à son versant economicus, mais se constitue par sa « socialité primaire » irriguée par le principe de reconnaissance, c’est-à-dire la triple obligation de donner, recevoir et de rendre ; le « défi du don » qui, comme le disait Mauss avec ironie, permet aux hommes de « s’opposer sans se massacrer »… Ambitieux programme, s’il en est ! Ainsi, inventer un nouveau modèle démocratique capable de rompre avec l’illusion mortifère d’un enrichissement à l’infini pour tous, semble bien être la nouvelle voie. Les rapports foisonnent, rappelant l’urgence qu’il y aurait à réformer notre manière de vivre, de dilapider les ressources de cette pauvre planète, scène d’opéra bouffe, soumise à nos caprices et à nos folies… Les Anciens étaient sages, qui se méfiaient à l’extrême de l’hybris (la démesure), propre à briser les destins les plus affermis… comme celui de l’espèce humaine. Et c’est tout l’honneur de ces premiers et brillants apôtres du « convivialisme » que de nous le rappeler avec force.
Patrick Tudoret

Patrick Tudoret est écrivain, consultant et coach. Il est l’auteur d’une douzaine de livres publiés notamment aux Éditions de La Table Ronde. L’écrivain sacrifié, Vie et mort de l’émission littéraire (INA/Le Bord de l’Eau) lui a valu, en 2009, le Grand Prix de la Critique et le Prix de l’essai Charles Oulmont de la Fondation de France et son Dictionnaire du pays bigouden (Editions Le Télégramme) est paru en 2010.


* De la convivialité, dialogues sur la société conviviale à venir, de Alain Caillé, Marc Humbert, Serge Latouche et Patrick Viveret (Editions La Découverte).

Le nouveau livre de Michel Hébert : Le marketing et la communication face à l’imprévisible chez l’Harmattan

« Les entreprises font désormais le Paris-Dakar »

(…) Il nous faut changer ! Changer car aujourd’hui, cet imprévisible est notre seul compagnon de route (…). Les prévisions tant qu’elles étaient justes, ou du moins justifiables, nous ont fait croire avec une vraie arrogance que nous étions en mesure de maîtriser, de dominer notre environnement car nous étions convaincus de savoir ce qui allait arriver.

Aujourd’hui, force est de constater que ce bel édifice confortable et rassurant, si cher aux organismes de prévisions, s’est écroulé. Aujourd’hui, l’imprévisible implique que les entreprises, du management aux services marketing et à la communication, deviennent « mobiles », réactives, apprennent à réfléchir vite. L’imprévisible implique « pas de temps » (…)

A l’heure où l’on n’a jamais autant parlé du principe de précaution et de responsabilité, les catastrophes arrivent les unes après les autres, sans frapper à la porte, de façon impolie, sans s’annoncer. Alors surviennent les crises : financière, économique, BP, un petit volcan islandais empêche la terre de tourner durant plusieurs jours, Toyota a les freins qui lâchent, les déficits grandissent jusqu’à mettre des pays en quasi faillite, le terrorisme a semé la panique dans les relations internationales depuis septembre 2001, l’Erika, AZF, la Société générale, les crashs d’avions chez Air France... Le directeur d’une maison de couture dit des choses affreuses, filmé par un mobile et diffusé sur Internet, un mort dans une chaîne de sandwicherie (qui n’est pas américaine), le Japon, le printemps arabe, les tablettes d’Apple mettent le marché des PC par terre. (…)
Nous sommes envahis de « cygnes noirs » comme le fait remarquer Nassim Nicholas Taieb : « On n’y croyait pas jusqu’à les découvrir en Australie et là, il a bien fallu y croire ». (…)

Nous (entreprises) ne roulons plus en limousine, sur des « autoroutes » en vitesse automatique, nous roulons sur des pistes pleines de pièges, avec des concurrents derrière nous, à coté, que nous voyons au dernier moment, avec des cartes incertaines. Nous sommes tous en train de faire le Paris-Dakar, c’est totalement différent. Tel est le « monde de l’imprévisible ».

Les managers et cadres des entreprises vont devoir se transformer en Sébastien Loeb. Dans le Paris-Dakar, l’imprévu est à chaque seconde. Il faut analyser vite la situation, réfléchir vite aux scenarii possibles, sélectionner vite le meilleur, exécuter vite ce qui a été décidé. Il faut de l’audace, du courage, de l’intuition.
Sébastien Loeb a une capacité exceptionnelle à lire la situation à 180°, c’est sa force principale. Avoir une capacité à analyser la situation, décider, dans l’instant. Dans les entreprises, la concurrence se densifiant, les extérieurs de marchés ayant une incidence sur le business étant de plus en plus présents, le Paris-Dakar représente symboliquement ce qu’est notre nouvel enjeu. Nous ne pouvons plus compter sur la carte routière. Nous devons trouver notre chemin nous mêmes.

Si « les cygnes noirs » vont se multiplier, les entreprises désormais doivent s’entraîner à affronter l’imprévu comme les sportifs s’entraînent à visualiser de nouvelles situations et changer de stratégies face à l’adversaire, durant le match. Que fait-on si un événement imprévu arrive ? La notion d’entraînement est fondamentale. Les entreprises ne perdront pas leur temps à se mettre volontairement dans des positions dangereuses pour constater leur capacité de réaction. On fait bien des « crash tests » pour les banques !

Comment changer efficacement, dans les temps, si on ne s’y est pas entrainé ? Patrick Gadalec, directeur de recherche à l’Ecole Polytechnique, parle de création de « groupe de réflexion rapide » dans toutes les entreprises. Ce genre d’exercice simple est intéressant, car il force, dans un court laps de temps, à fabriquer des solutions. C’est dans des exercices de ce type que se développent l’agilité, la réactivité, la flexibilité. C’est parce que nous réfléchirons en termes d’actions et non en termes de théories, que nous serons capables de fabriquer un autre mental, plus mobile, plus agiles pour réfléchir différemment. « Ne craignons pas d’être lents, craignons d’être immobiles » (proverbe chinois).













Michel Hébert, président de No Logic Consulting. http://www.nologic-consulting.com/
Extraits du livre « Le marketing et la communication, les entreprises, face à l imprévisible » à paraître aux éditions L’Harmattan. Préface de Jean-Marie Dru, président de TBWA Worldwide.