IMPRÉVISIBLE

Eléments de langage












Le 09/02/2012
Claude Hagège, linguiste, professeur honoraire au Collège de France - Une langue formate les structures mentales. Si elle devient monopolistique, survient alors le danger majeur de la pensée unique, d'un outil à réfléchir appauvrissant par son manque de diversité. C'est la thèse du linguiste Claude Hagège, forgée par ses impressionnants savoirs - il parle une collection très riche de langues.


Facebook, machine textuelle
Le Monde des Livres - 01.03.12
On s'y crée une identité, on y divulgue des informations choisies quand d'autres sont soigneusement passées sous silence. Des liens s'y tissent et se défont, des notoriétés subites agitent la Toile pour un bon mot ou une bonne vidéo. Le montré et le caché, aussi bien que le dit et le tu, nourrissent et relancent en permanence la logique du réseau social et lui confèrent son potentiel romanesque.


Cette application pourrait répondre aux phrases posées par l'utilisateur dans un langage naturel, comme le logiciel d'Apple.[...]Skyvi ou Vlingo. Néanmoins, si celles-ci reconnaissent des mots-clés, elle ne comprennent pas encore les phrases dans un langage naturel.[...]


« Etre poli fait du bien »
LENOUVELECONOMISTE.FR 14/03/2012
Les incivilités et la perte des convenances affectent les relations des entreprises avec leur clientèle et finit par les miner de l’intérieur – Vu d’en haut avec Julien Damon, professeur associé à Sciences-Po. Surprise : le “manque de savoir-vivre” et “l’agressivité des gens” font désormais partie des principales préoccupations des Français.

Lapsus politiques
LEMONDE.FR 14/03/2012
Erreur de production lexicale ou "symptôme de l'émergence de désirs inconscients" dans le langage médiatique de personnages publics, le lapsus politicus a même son florilège sur le très sérieux Institut national de l'audiovisuel.


Des millions de mots assassinés dans le monde
ACTUALITTE.COM - 21/03/2012 11:33
Une étude scientifique internationale basée sur les deux derniers siècles de littérature en langues anglaise, espagnole et hébraïque, soit quelque 10 millions de syntagmes, révèle un appauvrissement du vocabulaire. Les raisons : les correcteurs orthographiques qui aplanissent le style, et l'utilisation de mots plus courts pour faciliter l'acte de communication. Mais l'expression numérique pourrait à terme équilibrer les résultats.

Revisiter l'Esprit des Lumières

Tour à tour cadre dirigeant d'entreprise, grand reporter et documentariste de télévision, organisateur d'expéditions scientifiques et sportives extrêmes et guide de haute montagne, Yannick Vallençant se passionne pour les défis « himalayesques », pour les expériences loin des sentiers battus et pour l'aventure humaine et utile. À la tête de TOULAHO, il conseille les entreprises pour renouveler leurs stratégies et leurs pratiques face à la crise.

La crise globale oblige à la remise en question. Les certitudes d'hier, fussent-elles professées par des « experts », révèlent aujourd'hui leur part d'aveuglement. Selon Edgar Morin, la crise n'est pas seulement écologique, économique, financière et sociale : elle est d'abord intellectuelle ; il nous manque l'exercice d'une « pensée complexe » à la hauteur des défis qui se posent à nous. Albert Einstein professait quant à lui qu'il n'était pas possible de résoudre un problème en continuant de réfléchir de la même manière qu'on l'avait créé. Nourrir et revivifier le cerveau humain : telle serait donc en quelque sorte la première étape incontournable pour sortir de l'impasse.
Le retour de « l'Esprit des Lumières », source de bouleversements philosophiques, scientifiques et politiques sans précédents et de 3 siècles de progrès, est ainsi réclamé de longue date par de nombreux intellectuels. C'est qu'au delà de leurs divergences d'opinions, les penseurs « révolutionnaires » du 18ème Siècle partageaient une démarche et quelques grandes idées à même d'inspirer très utilement l'action des décideurs d'aujourd'hui.

1. Une société du savoir

De Diderot à Newton, de Lamarck à Bougainville en passant par Adam Smith, les Lumières ont abordé tous les territoires de la connaissance et édifié les piliers fondamentaux de la science moderne. Leurs découvertes et théories consignées dans des livres ou racontées dans les salons de la bonne société participaient de la diffusion d'un savoir vaste et objectif, censé libérer l'Homme et l'aider à accéder au bonheur.
La crise écologique met aujourd'hui en évidence l'étendue de notre ignorance scientifique et de notre déraison. C'est l'oubli des lois physiques et naturelles les plus élémentaires, couplé à une vision étriquée des enjeux (sectorielle et à court terme) qui ont conduit à des modèles économiques et industriels autodestructeurs. C'est ainsi, par exemple, parce qu'on n'en soupçonnait pas les effets sur la couche d'ozone que les bombes aérosol ont longtemps proliféré. Ou c'est faute d'avoir écouté les alertes scientifiques que les financiers s'égarèrent dans la bulle spéculative des biocarburants de 1ère génération, loin du nouvel eldorado espéré...
Aujourd'hui, la transition écologique est rendue inéluctable par l'épuisement des ressources traditionnelles et par la dégradation rapide de la biosphère. Un saut technologique majeur, comparable – voire supérieur – à ceux de la révolution du charbon et du pétrole est désormais nécessaire : il nous faut inventer de nouvelles sources d'énergie et les moteurs qui les feront fonctionner, mais aussi de nouveaux matériaux et matières écologiques, des processus de production à faible impact, ou encore une économie circulaire minimisant et recyclant ses déchets. De nouveaux produits, de nouveaux marchés et de nouveaux métiers vont émerger, poussés par une vague de fond qui va gagner en puissance. Une nouvelle forme de compétition s'engage entre les acteurs économiques et industriels. Pour y figurer en bonne place, il va falloir anticiper les évolutions, effectuer les bons choix stratégiques, innover radicalement, agir rapidement et avec clairvoyance. Cela impose plus que jamais de recourir à la science et au développement des savoirs dans les entreprises comme dans la société, afin que cette « révolution » s'effectue le plus naturellement, le plus efficacement et le plus pacifiquement possible.

2. L'exploration de la nature

Les Lumières considéraient que pour mieux s'affranchir des contraintes de la nature, l'Homme devait la connaître en profondeur. De Cook à Bougainville, ils lancèrent d'audacieuses expéditions scientifiques, sources de découvertes majeures autant que de prestige pour les monarques commanditaires. C'est dans cet esprit que Darwin partit 1 siècle plus tard ébaucher sa théorie de l'évolution sur les îlots arides des Galapagos.
Aujourd'hui, les nouveaux enjeux écologiques et scientifiques obligent à poursuivre l'exploration. Parmi ces millions d'espèces et d'écosystèmes méconnus résident sans doute des idées voire des solutions « clé en main » pour demain. Tel ce crocodile, qui sécrète ses propres antibiotiques et ouvre ainsi des perspectives médicales considérables. Ou cette bactérie, dénichée dans une simple mare du Michigan, capable de transformer en un temps record les déchets d'hydrocarbures en éthanol : voilà peut-être le principal producteur de carburant 100% écologique de demain !
Les gouvernements chinois ou indiens, et des multinationales de la santé, des cosmétiques, de l'industrie chimique ou agronomique ont déjà compris l'importance de ces enjeux et rivalisent désormais dans une course acharnée au brevetage du vivant.
Ces expéditions scientifiques pluridisciplinaires apparaissent donc plus utiles que jamais. Il y a urgence à étudier et à tenter de préserver ce qui peut l'être du patrimoine génétique planétaire, quand celui disparaîtrait désormais plus vite que lors de la dernière grande extinction des espèces (celle des dinosaures, il y a quelque 65 millions d'années) ! Et au-delà des enjeux de recherche fondamentale et d'intérêt général, ces aventures intelligentes permettent de tester des produits innovants en conditions extrêmes et offrent un potentiel de marketing et de communication large, original, très qualitatif et souvent peu coûteux au regard des campagnes classiques. Elles constituent donc un outil de développement résolument moderne pour les entreprises.

3. L'éclairage des élites

Puisqu'à l'époque on ne pouvait choisir ses dirigeants, les Lumières pensaient utile d'œuvrer à leur instruction : c'était l'idée du « despotisme éclairé ». Ils intervenaient ainsi régulièrement à la Cour, ou dans les salons de la bonne société aristocratique de leur siècle.
Les élites politiques et économiques ont aujourd'hui remplacé les monarques pour orienter la marche du monde ; elles sont donc en quelque sorte collectivement responsables de la situation actuelle. Car quoi de plus révélateur, voire inquiétant, que d'entendre par exemple un Président de la République en exercice révéler ignorer totalement la différence entre destruction de la couche d'ozone et effet de serre s'il est censé orienter l'avenir industriel et écologique de son pays... Il apparaît ainsi indispensable de mieux former les décideurs et leurs équipes aux sciences et à une vision syncrétique des enjeux économiques et industriels pour prendre les décisions les plus appropriées ; pour cela, il faut favoriser le décloisonnement et l'actualisation permanente des savoirs et des approches autant que la confrontation aux réalités concrètes du terrain. Ce peut être l'objet, par exemple, de la mise en place de formations professionnelles innovantes ou de l'organisation de séminaires « intelligents ».

4. L'humanisme

À travers leurs idées et leurs actions, les Lumières visaient à favoriser le bonheur humain – ce qui n'empêchera pas quelques erreurs de jugement voire le dévoiement ultérieur de certaines de leurs théories (Adam Smith, par exemple, refuserait sans doute aujourd'hui de servir de caution intellectuelle aux excès de l'ultralibéralisme).
Or aujourd'hui, l'accumulation de crises et de scandales écologiques, sanitaires ou financiers depuis quelque 30 ans a alimenté le discrédit – jusqu'à la détestation, parfois – des élites et des grandes entreprises : celles-ci se voient accusées collectivement de suivre la seule logique du profit « à tout prix », au mépris des aspirations ou même des besoins les plus élémentaires des peuples. Le désamour des salariés comme des étudiants pour le monde de l'entreprise, ou dans un autre registre la montée en flèche de l'extrémisme et du populisme en politique, en sont 2 conséquences directes.
Dans ce contexte, revaloriser l'image de l'entreprise est un enjeu central. Pour cela, elle doit désormais plus que jamais attester de son utilité sociale et placer résolument l'intérêt supérieur de l'Homme au cœur de son action.
L'entreprise doit ainsi agir en interne, vis-à-vis de ses employés : il s'agit là de traiter efficacement le risque psychosocial et la souffrance au travail, en améliorant le bien être et l'épanouissement des salariés dans leur environnement professionnel. Au-delà de la question morale, des études économiques ont en effet montré qu'il existe là, à travers quelques évolutions simples de management et d'organisation plus sensibles aux attentes et à la nature « humaine » des salariés, un gisement considérable de productivité et de valeur ajoutée.
L'entreprise doit aussi agir en externe, vis-à-vis des consommateurs et de la société tout entière : il s'agit de développer des stratégies de marketing et de communication d'autant plus crédibles et bien accueillies qu'elles seront responsables, sincères, authentiques ; il s'agit aussi – et avant tout – de les appuyer sur des produits et services qui apportent des bénéfices réels pour l'Homme et son écosystème.

5. L'engagement

Les Lumières mettaient leurs idées en pratique et s'engageaient dans l'action, quitte à prendre des risques. Cela coûta notamment à Voltaire l'emprisonnement puis l'exil.
Leur niveau de discrédit est tel que les entreprises et les décideurs d'aujourd'hui ne peuvent plus se contenter de postures consensuelles ou de discours lénifiants sur le développement durable et autre « Responsabilité Sociale et Environnementale » qui confinent trop souvent au greenwashing et à la tartuferie : électeurs ou consommateurs attendent d'eux des actes et des preuves. Il faut pour cela oser s'aventurer hors de ses frontières traditionnelles. Prendre le risque de la recherche, de l'expérimentation et de l'innovation. Recourir à de nouveaux matériaux, processus de production ou modes d'organisation plus écologiques. Humaniser profondément le cadre et les conditions de travail de ses salariés. Porter des projets ambitieux au service du savoir, de l'environnement, de la solidarité ou de tout autre objectif de transformation sociale et d'intérêt général.
Les entreprises capables de tout cela feront, demain, la course en tête.



Il existe aujourd'hui suffisamment de champs d'action, d'experts compétents, de partenaires potentiels et d'outils de financement pour refuser l'immobilisme et pour commencer de tracer des voies nouvelles. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », avancent les alpinistes et autres explorateurs de territoires extrêmes. Quant à Fernand Braudel, ne raconte-t-il pas dans sa Grammaire des Civilisations la formidable capacité de renouvellement des sociétés humaines s'il s'agit de se sauver des situations les plus critiques ? L'aventure des Lumières n'attend donc plus que d'être réinventée aujourd'hui.

Yannick Vallençant

Dirigeant de Toulaho
Membre de No-Logic Consulting
yannick.vallencant@toulaho.com

L’éveil des sens, la nouvelle clef de succès des marques de mode ?


Docteur en Sciences de Gestion, Agathe Dementhon est aujourd’hui experte en marketing (stratégie de marque, attitudes et comportements des consommateurs, décryptage des tendances, prospective), et spécialiste des secteurs du luxe, de la mode et de la beauté (missions pour LVMH, PPR, Longchamp, L’Oréal PCI, Baccarat, Mango…).
Bénéficiant de 12 ans d’expérience en instituts d’études dont RISC International et Ipsos Marketing, Agathe Dementhon a développé sa propre structure et travaille de façon indépendante pour le compte d’instituts et de cabinets de tendances.



Il n’est plus à démontrer que les éléments rationnels tels que l’utilité ou le prix d’un produit ne sont pas systématiquement, de nos jours, les seuls moteurs d’un acte d’achat. La valeur émotionnelle liée aux perceptions peut jouer un rôle prépondérant. Les industriels l’ont bien compris. Depuis longtemps. La vue, le toucher ou encore le goût font partie intégrante du marketing produit depuis des décennies. Les deux autres sens, à savoir l’odorat et l’ouïe, n’ont été exploités que plus tard. Aujourd’hui, le concept de poly-sensorialité appliqué aux différents points du mix semble incontournable. Dans un monde marchand internationalisé et toujours plus concurrentiel, tout est bon pour séduire le client.
Pourtant, les investissements en la matière restent limités sur les points de vente, spécialement dans le secteur de l’habillement. Longtemps considéré comme un gadget par les enseignes, surtout en France, le marketing sensoriel peine à se systématiser.

Le marketing sensoriel comme moteur d’achat
Accroître le bien-être du consommateur, créer une expérience shopping et placer le chaland dans une ambiance propice à l’achat, tels sont bien les objectifs du marketing sensoriel, terme apparu dans les années 90, lorsque l’olfactif est entré dans la partie.
Le marketing sensoriel, subtile approche du consommateur, tente d’intégrer dans la démarche commerciale de l’industriel la compréhension des perceptions humaines et de la subjectivité. Tâche délicate, en particulier lorsqu’il s’agit de l’appliquer sur le point de vente. Créer des sensations, faire vivre une expérience particulière, pourquoi pas unique, donner l’envie au shopper de s’attarder dans la boutique et même de revenir, tels sont les enjeux. Enjeux à caractère commercial, le but ultime, bien entendu, étant de pousser l’individu à ouvrir son porte-monnaie.
Le consommateur, nous le savons, est plus complexe, volatile et stratège qu’autrefois. Il n’achète plus uniquement un produit, une marque ou un logo. Désormais, il demande à être surpris, étonné, chouchouté. Le shopping comme divertissement, comme activité réconfortante, allié à l’un des grands courants de notre époque, la quête de personnalisation. L’inconscient est sollicité. L’irrationnel est stimulé. Il ne s’agit plus de parler de simples fonctionnalités.
L’idée de poly-sensorialité plane depuis des lustres sur l’univers de la distribution mais n’était pas systématique jusque là. Dans les années 50, marketings visuel et tactile flirtaient déjà avec certains points de vente. Eclairages spécifiques, moquettes velours, espaces vidéos comme chez Décathlon. Dans les années 60, la musique s’en mêla. Utilisée d’abord dans la publicité (l’emblématique musique de Dim colle à tout jamais à l’identité de la marque), elle entra rapidement dans les espaces de vente pour créer une ambiance particulière. Une manière judicieuse, simple et bon marché d’influencer les réactions comportementales du client et d’impacter ses réactions affectives (plaisir, humeur, émotion) et cognitives (perception de l’image du magasin et des valeurs de l’enseigne). Nous ne parlerons pas ici du marketing gustatif, apparu dans les années 80, mais qui laissa quelque peu pantois les points de vente, hormis dans la distribution alimentaire où il est facile de l’utiliser. Puis les années 90 virent apparaître l’olfactif, une nouveauté majeure dans un monde où le consommateur commença à être saturé d’images et de sons. Un point essentiel dans le marketing sensoriel du fait que l’odorat semble véhiculer plus d’émotions que les autres sens et permette de ressusciter des sensations profondément enfouies.
Aujourd’hui, tous les sens ont été exploités en marketing mais une difficulté réside, en particulier lorsqu’il s’agit du point de vente : chaque individu perçoit les choses à sa façon, selon sa culture et son vécu. La personnalisation de l’offre ou d’un point de vente est donc illusoire. En revanche, créer un univers fort et original permet de renforcer l’identité d’une marque et de ses produits et constitue un réel facteur de différentiation pour une enseigne. Nature & Découvertes l’a largement démontré. Une tasse de tisane aux sept plantes offerte à l'entrée du magasin, des bruits d'eau qui s'écoule, une légère odeur de cèdre diffusée au détour des rayons, tel est ce que chacun d’entre nous s’attend à trouver en entrant dans l’une des boutiques de l’enseigne. En promettant de « reconnecter le client urbain à la nature », Nature & Découvertes a développé plus qu'une ambiance. Elle a créé un modèle.

Le marketing sensoriel, une piste de différentiation sous-exploitée dans la mode
Et dans le secteur de la mode ? La vue est le sens le plus sollicité en boutique. Le design, les couleurs, l’éclairage constituent une atmosphère parfois fortement identitaire lorsqu’ils sont bien pensés et en phase avec les valeurs de la marque. La rénovation des boutiques de la marque de prêt-à-porter haut de gamme Lacoste, en 2008, n’est pas passée inaperçue. Espaces et lumières de couleur luxueusement conjugués pour mettre en valeur des articles dans une ambiance chaleureuse et conviviale. Un espace lounge et un bar tout en courbes et design. « Un peu d’air sur Terre ». Une identité forte relayée par les boutiques. Et Lacoste n’en est pas restée là. Evoluant avec son temps, voilà que la marque a inauguré, fin 2010, une nouvelle boutique, dans le Marais, à Paris, puisant dans l’essence même de son nouveau concept : L!ve. Un espace lumineux et spacieux, flanqué d’un parquet brut marqué de lignes de terrain de sport et équipé d’une borne d’arcade Pac-man pour dynamiser les ventes de sa ligne colorée qui cible les 15-25 ans.
Nombreuses sont les enseignes de mode qui depuis plusieurs années ont restructuré leurs points de vente pour les rendre plus attractifs et donner au consommateur l’impression qu’ils y sont mieux qu’ailleurs, que leur quotidien s’embellit losrqu’ils entrent dans ces antres de la consommation. Le bois pour la chaleur et le côté luxe chez Zara, la musique jazz chez Célio, du hip-hop ou de la techno chez Citadium, à chacun sa signature sensorielle.
Mais beaucoup reste à faire. Certaines enseignes n’ont pas encore trouvé un lien cohérent entre la marque, l’offre produits, la communication et le point de vente. Et quasiment aucune marque n’utilise l’olfactif sur le point de vente, puissant créateur de sensations pourtant. La difficulté réside dans le côté mystérieux de l’olfactif, difficile à travailler. Les boutiques de la marque de prêt-à-porter féminin Caroll en ont fait l’expérience en diffusant un parfum d’ambiance, mélange de pamplemousse et de thé. Mais l’avons-nous vraiment retenu ?
Ainsi, de nombreuses pistes restent à explorer et de plus en plus d’experts proposent d’identifier, de façon très précise, le profil sensoriel d’une marque ou d’un lieu de vente.
La marque de prêt-à-porter Abercrombie & Fitch a-t-elle consulté l’un d’entre eux ? Visant plutôt, à l’origine, des professionnels et des amateurs de sport de plein air, cette marque s’est largement appuyée sur le marketing sensoriel pour prendre son envol et s’étendre auprès du grand public, en particulier des plus jeunes. Lumière tamisée en contraste avec la couleur des vêtements, vendeurs au physique parfait et à l’énergie incontestable. De la musique électro, ambiance boîte de nuit. Des effluves du tout nouveau parfum de la marque, diffusées toutes les heures par les vendeurs. Et petite animation pour vous, Mesdames, une photo souvenir avec les vendeurs so sexy ! Tout cela dans plus de 1000 boutiques dans le monde. Proposer à la clientèle de vivre un moment spécial, voire inoubliable, pour communiquer un positionnement fort et pousser à la consommation, une réussite sans conteste et très remarquée pour Abercrombie & Fitch.

Le marketing sensoriel ou expérientiel, vous l’aurez compris, devient une importante clef de différentiation. D’autant qu’à l’ère d’Internet, une relation plutôt froide et aseptisée s’est instaurée entre l’internaute et les enseignes qui doivent aujourd’hui redoubler d’ingéniosité pour faire entrer à nouveau les consommateurs dans les boutiques.


Agathe Dementhon
30 janvier 2012

La parole impuissante ?

Xavier Delacroix, "La parole impuissante ?"
(Extrait 2)

La fin
La deuxième piste de réflexion nous fait passer du circulaire au linéaire. Dans les lignes qui précèdent nous étions sur la base d’un système qui, consubstantiellement et depuis l’origine, serait homogène, fini, représentable sous la forme d’une sphère avec un cœur autonome. L’activité de débat/dialogue y serait périphérique, comme satellisée de toute façon par un ensemble qui n’en aurait pas besoin et aurait inventé la parole pour mieux se concentrer sur la pure reproduction et laisser accroire qu’il pouvait dévier de sa trajectoire.

Ici nous partons sur une vision non déterministe où le temps aurait joué un élément décisif.
L’impotence du discours, l’incapacité du débat à n’être autre chose qu’une écume, une agitation sans conséquence tiendrait en réalité au fait que le déploiement du temps a donné aujourd’hui à ce fameux « système » une autonomie dont il était dépourvu il y encore quelques années.
La linéarité du fil historique s’imposerait, pour dire simplement qu’il y a chronologie et non perpétuel recommencement ou éternel surplace, il y a un début et une fin, et cette fin est récente. Elle est associée à l’extension sur l’ensemble de la planète d’un système économique dit « économie de marché » qui a « emporté le morceau » pour la plus grande joie de certains, la tristesse ou la résignation d’autres, que ce système imprègne notre terre ronde.
«Le temps du monde fini commence » écrivait Valery en se référant à la fin des inconnus géographiques de notre planète et à la montée parallèle des techniques de télécommunication écrasant les distances. Pour autant le système politique et social faisait l’objet de débats véhéments, de critiques farouches. Dans la ligne incandescente de ce qu’avait connu le XIXe siècle, la parole apparaissait comme l’avant-garde des changements, les nécessaires premiers pas vers le mouvement ; le débat pour confronter, pour basculer, pour transformer.
C’est cette histoire-là qui aurait passé la ligne, fini sa course. Terminé. La terre est ronde, les hôtels se ressemblent, les envies aussi. Désormais la finitude s’appliquerait également à cette histoire-là.
De révolutions en évolutions de plus en plus essoufflées, l’économisation de la planète - au sens de sa dépendance à l’économie -, l’homogénéisation des aspirations de ses habitants aurait atteint une forme de terme, comme disent les gynécologues-accoucheurs. Certes, la science et la technique apporteront les changements qui donneront au monde couleurs et formes « nouvelles », mais en réalité si l’Homme n’a pas avancé d’un angström en ce qui concerne les questions de fond (« qu’est-ce que je fais là ?», « pourquoi ? »), il a terminé son tour de piste sur les questions de forme. La messe est dite, l’individu serait ontologiquement helvético-warholien : il aspire à une calme prospérité dans un cadre apaisé et fiscalement homogène, accessoirement troublé par un quart d’heure de notoriété ayant pour principale vertu de susciter l’ire jalouse des semblables susmentionnés.
Certes, tout le monde n’a pas franchi cette ligne, le paysan du Kerala ou l’habitant de la banlieue de Chisinau est encore loin du compte. En revanche, ils savent quel est le point à atteindre, ce vers quoi ils doivent tendre pour profiter de cette forme d’arrêt du temps. Cette ligne d’arrivée ne paraît plus contestée. À l’issue d’un lent déploiement où les soubresauts historiques n’ont pas manqué, l’organisation humaine aurait achevé sa mue darwinienne et, attendant la prochaine météorite, une nouvelle glaciation ou un virus mutant sorti des entrailles d’une volaille annamite, il conviendrait donc de « faire avec ». Cette fin déployée est telle une fleur ou un papillon qui aurait atteint la maturité depuis un état de bourgeon ou de chenille. Au-delà de l’esthétique de la métaphore que d’aucuns pourraient violemment contester au regard de la situation du monde contemporain, c’est l’idée de cheminement chronologique et surtout d’aboutissement qu’il convient de retenir ici. L’Histoire du monde se serait déployée jusqu’à atteindre une forme de lit comme on le dit d’un fleuve. En amont, les vicissitudes montagnardes des ruisseaux, plus bas les tours et détours des rivières et enfin, encore plus en aval, le fleuve. Alors, certes, le fleuve peut être tumultueux, sauvage, en crue, mais au bout du compte le parcours des eaux qui l’alimentent s’achève là. C’est la fin.

(DVC Editions)

La parole impuissante ?

Consultant et éthologue, Xavier Delacroix, diplômé de Sciences Po Paris, de la London School of Economics et de l’INSEAD, a dirigé le cabinet de conseil First&42nd depuis sa création en 2002 après avoir été journaliste à la BBC puis occupé des postes de responsabilité au sein de cabinet de conseil anglo-saxons.
Il est l’auteur de «La Grande Peur des Patrons» (Le Félin), «Influencer la Démocratie, Démocratiser l’Influence» (Chiron), «Regards» et «Carpe Diem 5.11.9» (DVC Editions).


Vigueur du plaideur , impotence de l'acteur (DVC Editions)

La descente dans la case (Extrait 1)
Il y a d’abord ce constat que l’entrée dans la vie active se fait sous le signe de la verticalité, de la descente progressive vers un espace étroit, spécialisé, limité où l’impétrant va progressivement se couper des sujets généraux - on dira culture générale - pour se retrouver confiné dans une cellule faite de compétence bien précise et obéissant à des règles d’emploi de son temps qui lentement le coupent de sources de connaissance et d’interrogation du monde.

Pourtant les choses à l’origine semblaient plutôt bien parties : entre enfance et cursus scolaire, le temps est à l’éveil, à la découverte, à l’épanouissement vers un regard horizontal sur le monde. Ce n’est pas le lieu ici d’insister sur l’accent beaucoup trop lourd mis sur les matières scientifiques, en particulier les mathématiques. Même à l’âge de l’adolescence en appétit de savoir, elles restreignent déjà le champ de vision et rognent les enseignements d’ouverture qui manqueront cruellement plus tard. Elles facilitent certes la tâche pour classer, trier, aiguiller, mais ne sont qu’une piètre solution de facilité quand l’ambition devrait être tellement plus haute.
Cet élan initial et naturel pour la connaissance va être progressivement bridé par la nécessité d’acquérir une compétence qui puisse être monnayable sur le marché du travail. Cela passe d’abord par une réduction corticale, un étroitisation du cerveau sur quelques matières phares avant la plongée dans la dure réalité du monde. Celle-ci commande alors et conduit à une lente et inexorable descente vers le charme discret de la feuille de paie et le triste alunissage dans quelque chose ressemblant à tableau à la Seurat. Le peintre pointilliste. L’ensemble représente quelque chose, mais le point lui, n’est qu’une tache de couleur. Un petit bonhomme posé sur un travail à effectuer, une tâche définie, prenante, sans doute indispensable et en même temps dérisoire et qui va progressivement le couper du tout et l’installer dans un faux confort. Du financier à l’ingénieur, du vendeur au chercheur, toute existence professionnelle passe avant toute chose par l’acquisition d’une spécialité ; elle se fait par abandon, par lâchage successif de savoirs autres, renoncement plus ou moins subis à de la connaissance jugée inutile, puisque non directement monnayable. Le savoir horizontal ne garantit aucune place dans le corps social, il aurait même tendance à exclure. L’homme mixte cher à Montaigne, le questionneur des choses qui s’efforcerait de maîtriser un corpus de connaissances lui permettant de couvrir un nuancier allant de Dostoïevski au PSG n’est pas le bienvenu. Non pas parce qu’une hostilité objective aurait été décrétée contre les chantres du savoir large, mais simplement parce que sous des dehors homogènes, notre société est formidablement fragmentée et réclame des ouvriers spécialisés. Avec le temps, ils le seront de plus en plus. Nous sommes condamnés au détail.
Exister aujourd’hui passe par un impératif professionnel et ce sésame social implique une spécialité, un savoir, l’occupation d’une alvéole, d’un trou. À l’instar de ces poilus qui sortaient de la tranchée sous la mitraille adverse au cours de la Première guerre mondiale et ne devaient leur survie qu’à leur capacité à trouver refuge dans un trou d’obus, la société contemporaine réserve d’abord les places à ceux qui savent trouver ce refuge précieux, cette position défendable contre les prédateurs, en même temps que symbole de son existence dans l’écosystème économico-social. « Qu’est-ce que vous faites dans la vie ? » invariable deuxième question posée dans un dîner où vous devez faire connaissance avec vos voisins (la première chez les gens bien élevés tenant à l’interrogation sur votre nom). À l’aune de cette réponse, tout est (presque) dit, aussi sûrement qu’une carrière d’inspecteur des finances dépend d’un classement aléatoire dans une école particulière et doit si peu aux éventuelles compétences et talents démontrés ultérieurement par le titulaire.

L’idée de trou ou encore de case se visualise encore mieux le soir tombé, dans les quartiers d’affaires qui restent illuminés : une série de niches fichées dans des immeubles-falaises, des cubes éclairés posés les uns à côté des autres, attendant le retour de leur locataire attitré. Carrés jaunes accueillant un être observant un écran.
Ça ne serait pas si grave si cette spécialisation, cette « caséification » n’était qu’une réponse ponctuelle au Zeitgeist, à cet esprit du temps qui commande d’endosser une panoplie pour faire son chemin dans la vie professionnelle, pour faire une carrière, le joli mot qui sent la pierre et le marteau piqueur. Le problème vient de la dilution d’intelligence du monde, le plus souvent irréversible que suppose ce mouvement. En descendant sur la case, en sautant sur une autre, l’impétrant perd en hauteur de vue, en largeur du regard. C’est le pédalier qu’il regarde et non plus la route. Lors de la montée en grade, il n’est pas rare de découvrir une incapacité à appréhender la largeur, les autres, le transversal. Comme une mémoire perdue, un savoir-comprendre oublié en chemin, dans la descente.

Le paradoxe est là : jusqu’à la révolution industrielle, il y avait ceux qui savaient tout d’un monde fini et limité, les paysans. Il y avait ceux qui savaient large d’un autre monde, celui des arts, de la guerre, des sciences. Dans leur genre, chacune de ces catégories d’individus renvoyait à une appréhension générale et d’une certaine manière totalisante de leur monde propre. Là où portait leur regard, correspondait un savoir. La révolution industrielle, en même temps qu’elle a globalisé ces univers, a introduit une fragmentation de plus en plus étroite, comme une banquise dont se détachent progressivement de multiples morceaux, au départ de taille importante avant que les blocs ne deviennent de plus en plus petits. C’est une évolution chronologiquement parallèle à celle de l’évolution d’un être vivant : une cellule initiale se divise en deux, laquelle donne naissance à des cellules qui elles-mêmes vont se diviser encore et encore jusqu’à constituer l’être vivant pour lequel elles sont programmées, hippopotame ou hirondelle ou être humain. Le paradoxe professionnel est inverse et il est régressif. L’homo economicus va progressivement réduire son champ de compétence pour s’enfermer dans quelque chose d’étroit, au périmètre défini, aux frontières rassurantes. Se glisser par le jeu de tamis successifs dans des alvéoles de plus en plus petites, jusqu’à occuper une case. Sa case.